Le chemin des morts 13 Jacques Lasmier et Elisabeth Boyer
Ce matin de mars, Jacques Lasmier se rase de près, taille sa crasseuse moustache. Il pleut ce qui fait pester Jacques.
- Je vais passer par Lombarteix pour me rendre à Lacoux. Avec cette pluie, l’étang de Boisfrancs doit déborder sur le chemin. On ne doit pas pouvoir passer. Marmonne l’ancien bonapartiste.
Il est cinq heures du matin. Le jour se lève à peine. Après avoir avalé son verre de « gniole », bourré sa bouche de « chic » Jacques prend son baton. Il se dirige, sous la pluie, vers le premier village ; Roussine.
Tout en marchant, il pense à la journée qui l’attend.
- Ce brave François Peynot, il ne pensait pas à la Anne Boyer lorsque nous migrions à Paris et que, jusqu’au matin, nous buvions avec des filles dans notre « piolle » de la rue Mouffetard. Enfin il faut bien que tout ça s’arrête un jour. Au bout de trois quarts d’heure, il aperçoit les premières maisons de Roussine.
- J’m’arrêterai bien boire un coup chez les Lamiraud mais si je commence déjà, j’suis pas rendu.. On verra ça à Villecoulon chez les Bruneton. Il traverse Roussine en replongeant dans ses pensées.
- Le François à plus de chance que moi. Son père a de quoi payer un beau mariage avec sa forge « des Taches ». Moi, mon père est mort sans rien. Faudra bien que je quitte un jour « Le Mas » pour me aussi me marider.
Arrivé devant la marre à l’entrée de Villecoulon, Jacques descend jusqu’au bas du village où se trouve le moulin de son ami Sylvain Bruneton qui lui aussi n’est toujours pas marié à trente quatre ans. Sylvain et Jacques se serrent longuement la main.
- Qu’est-ce qui t’amène par là ? interroge Sylvain.
- Je m’rends à Lacoux au mariage du François Peynot avec la Anne Boyer.
- C’est bien un grand mariage que voilà, répond Sylvain, une forge avec une grande propriété.
- Oui c’est pas à moi que ça arriverait, répond Lasmier en buvant son verre de cidre et crachant sa « chic » à terre.
- François t’a trouvé une cavalière ?
- Oui la sœur de la mariée l’Elisabeth, tu la connais?
- Oh oui, c’est un laideron. Aucun gars de Jouillat ne la veut. Il parait que sa mère a eu un accouchement difficile et la petite en a souffert. C’est ma cousine qui a épousé un de ses oncles qui me l’a dit.
- Ah bon ! s’étonne Jacques. Le François n’a pas été très bon avec moi alors !
- Bah ! Il ne pouvais guère faire autrement les deux autres sœurs de l’Elisabeth ont déjà un « Galant ». La deuxième Anne à Louis Pruignaud et la Marguerite, Pierre le frère du marié, alors !, t’en trouveras bin une autre dans la journée. Allez le Jacques t’es pas encore rendu et méfies toi du ruisseau après Lombarteix avant de prendre le chemin des morts de Lacoux avec la pluie il est devenu gros.
- A bientôt le Sylvain et merci des conseils. En marchant vers Lombarteix, le « noceur » rumine en pensant aux paroles de son ami Bruneton. Le François m’a donné un laideron comme cavalière. Il a du penser que nous irions bien ensemble puisque moi aussi les filles ne viennent pas beaucoup me voir. A part celles qu’on paie... Je ne suis peut-être pas beau, mais je ne suis pas idiot. L’Elisabeth est un bon parti et si aucun garçon ne la veut, moi j’ai tout à y gagner. Si l’Elisabeth voulait bien de moi je pourrais quitter la misère du Mas.
C’est sur cette idée que Jacques Lasmier passe les terres du « Pendant » puis finit par apercevoir les premiers bâtiments Gerby du « Couderc » avant de pénétrer dans Lacoux.
Jacques arrive juste pour la formation du cortège qui va emprunter le chemin des mort, en guise de porte bonheur, jusqu’à la Mairie et l’église de Jouillat.
François Peynot présente à son ami Lasmier sa future belle-sœur Elisabeth qui sera sa cavalière durant toute la noce. Les deux jeunes gens se dévisagent longuement. Elisabeth baisse les yeux. Elle se sait pas belle. Elle est petite presque naine et très maigre. Ses cheveux sont noirs et raides cachés par une large coiffe. Deux petits yeux gris fuyants mais, si on prête attention, laissent entrevoir une certaine mélancolie, qui lui donne un petit côté attendrissant. Ses lèvres minces cachent une dentition inégale jaune et grise. Jacques comprend pourquoi son ami Sylvain Bruneton lui a parlé d’un laideron. Mais il sait qu’il n’a pas du l’éblouir aussi par son physique. Mais qu’importe qui se ressemble s’assemble. Il semblerait même qu’un léger trouble soit passé entre les deux jeunes gens.
(à suivre)