De retour à son village du Mas chez sa mère, la Marie Ratoullat, Jacques est amoureux. Il a été charmé par Elisabeth Boyer malgré sa réputation de laideron lui ne vallant guère mieux. Ils feront un couple idéal d’autant plus qu’Elisabeth lui a fait comprendre, le jour de la noce de sa sœur, qu’il ne lui était pas indifférent. Mais il va falloir convaincre le père et la mère Boyer. Avec son passé d’ancien bonapartiste, sous le régime actuel de restauration de la monarchie, la route de la migration vers Paris lui est fermée. Il ne possède rien. Depuis la mort de don père André Lasmier, sa mère est logée gracieusement par ses anciens maîtres dans la masure qu’elle occupait avec défunt son mari plus un bout de jardin, un poulailler et une porcherie en échange de menus travaux.
Jacques fréquente les cabarets des communes de Champsanglard, Bonnat où il s’enivre régulièrement. Il paie des filles avec de l’argent chapardé à droite à gauche même à sa pauvre mère. Un jour qu’il était dans le cabaret de Jouillat tenu par Jean-Baptiste Chazeaud, se dresse devant lui François Peynot .
- Dis-moi le Jacques. Crois tu que c’est de cette manière que mes beaux-parents te donneront ma belle-sœur l’Elisabeth ?
- J’aimerai bien devenir son « galant ». Mais comment ? Je ne possède rien et je ne peux plus aller faire le tailleur de pierre à Paris.
- Je sais tout ça. Mais j’ai peut-être une solution si tu arrêtes cette vie de patachon.
En jetant son verre de cidre à terre Lasmier marmone :
- Je suis prêt à tout pour « marider » l’Elisabeth.
François tenant l’épaule de son ami lui glisse à l’oreille :
- Je connais très bien Léonard Parrain qui est « charron » fabriquant de roues de « tombereau » et de « grand lit ». Il cherche un commis. Son atelier est à côté. Allons le voir.
Lasmier s’exécute de bonne grâce. Sylvain Parrain accueille chaleureusement son ami Peynot. François expose brièvement le but de sa visite. Le charron dévisage Jacques.
- Si ton travail le vaut, tu seras bien payé. Tu auras le coucher et le couvert au cabaret du Jean-Baptiste Chazaud. Si tu le veux je te servirais de « menon » pour ton Elisabeth. Si tu es d’accord tapes dans ma main. Jacques Lasmier esquisse un léger sourire.
- Je tape le Parrain. Je commence tout de suite.
- Vas chercher ton baluchon et installes toi chez le Chazeaud. On verra demain.
Le quinze août, à Jouillat c’est la saint Roch. Après la Messe du matin, l’après-midi sont organisés une petite foire aux bestiaux, des jeux comme le « pot » dont Jacques a déjà été une des victimes le jour du mariage de son ami François Peynot. Jacques a passé la journée à la fête avec l’espoir de voir son Elisabeth. Si, il avait été à la Messe du matin, il aurait pu l’apercevoir mais ce n’est pas la place des hommes qui arrosent la saint Roch au cabaret Chazeaud. Le soir, Elisabeth comme de coutume est présente au bal accompagnée de sa mère Magdeleine qui vient surveiller ses filles. Jacques et Elisabeth ne s’étaient pas revus depuis la noce de la sœur d‘Elisabeth. Le bal de la saint Roch est une aubaine pour eux. Mais Jacques est de la commune de Champsanglard et il est très mal vu qu’une jeune fille de la commune danse avec un cavalier d’une autre commune. C’est souvent la cause d’une rixe. Des bals à Genouillac se terminent régulièrement en bataille en règle entre Berrichons et Marchois. Heureusement, le patron de Lasmier, Léonard Parrain, assure que son commis travaille et demeure à Jouillat ce qui calme les habituels provocateurs. De ce fait Jacques peu « courtiser sa belle » sans être inquiété. Une fois le bal terminé Jacques raccompagne bras dessus bras dessous son Elisabeth à Lacoux. Derrière eux, la soeur d’Elisabeth, Marguerite, avec son “galant” Pierre Peynot. Puis à la traine, la mère Boyer et la jeune sœur des convoitées, Anne qui tient la lanterne voir “la chandelle”. Arrivés devant chez les Belugeon, les cavaliers rendent à leur mère leur dulcinée, non sans qu’auparavant Jacques est proposé à Elisabeth de devenir son « galant » dès dimanche prochain.
Le dimanche matin suivant le quinze août, Jacques Lasmier met sa blouse et ses sabots du dimanche. Son brave patron, le Parrain, qui s’est proposé d’être son « menon » a également mis ses habits du dimanche. Tous les deux empruntent le chemin des morts qui conduit à Lacoux jusqu’aux terres de la « Signonne » où une bergère assise sur son « cherrier » surveille ses quelques vaches. Elisabeth Boyer, car c’est elle la bergère, joue la surprise. Léonard Parrain engage la conversation.
- Je suis le « menon » du Jacques Lasmier.
Ce dernier se tient debout face à la bergère. Il ne dit mot. C’est le menon qui se charge de venter les intentions du jeune homme. Le vieux Léonard est habitué à tenir ce rôle. Ce n’est pas la première fois qu’il le tient.
- Le Jacques est un très bon commis. Certes, il ne possède pas de bien mais il est vaillant à la tâche et puis il a un bon métier. Il est tailleur de pierre. Il a fait la migration à Paris. Il pourra être très utile à ton père. Quand dis tu l’Elisabeth ?
Prenant la main de Lasmier en le fixant dans les yeux, elle verse une larme de joie puis répond au menon ;
- Tu m’as bien parlé, le Parrain, je te crois. Revenez le prochain dimanche, je vous dirais si vous pouvez venir à Lacoux voir mon père le François.
Le dimanche suivant Elisabeth transmet aux deux hommes l’accord du père Boyer. Son père donne l’autorisation au prétendant de sa fille et à son menon de venir défendre leur demande.
Un matin d’août Léonard Parrain et son commis ont une paire de roues de « grand lit » à livrer chez les Tallaire de Lacoux. Jean-Antoine Tallaire a pris du retard dans sa moisson suite à une rupture d’essieu dans le chemin « des Rives ».
- Nous allons en profiter pour aller rendre visite aux Boyer. Ils sont juste derrière les Tallaires. Mais tu connais puisque tu es venu aux noces de la Anne et du François Peynot !
Lasmier est un peu tremblant d’affronter le François Boyer et la Magdeleine son épouse. Mais il fait confiance à son « ambassadeur » c’est un bon négociateur. Le père Boyer et son frère Antoine “déchargent une voiture de blé” dans la grange du bout où a eu lieu les repas des noces de Anne et François Peynot. La mère Boyer distribue des verres de cidre aux travailleurs qui sont “en nage” sous cette lourde chaleur d’août.
La Magdeleine offre, également, un verre de cidre au Parrain et à son commis. Ils doivent bien avoir soif !
- Tu as livré le Tallaire ? Lance François Boyer. Il était temps. Il a pris du retard et les orages ne vont pas tarder.
- Nous avons beaucoup de travail en ce moment. Heureusement que j’ai un bon commis. Justement à propos de lui, je suis son « ambassadeur » auprès de ta fille Elisabeth qui l’a choisi comme « galant ». Mais ne fais pas l’innocent tu es bien au courant.
- Je suis au courant en effet, répond le père Boyer, mais ton commis ne possède rien et il était avec l’empereur ce qui lui a valu de gros ennuis.
- C’est du passé, rétorque l’ambassadeur en prenant son protégé par les épaules. Il ne possède rien mais il a de bon bras et le labeur ne lui fait pas peur. Il parait aussi que les prétendants à « marider » ton Elisabeth ne sont pas nombreux. Ne laisse pas partir celui-ci c’est un bon gars.
- Tu as de bons arguments, Léonard, tu es un bon ambassadeur et je sais que tous les pères à qui tu as défendu un galant n’ont jamais eu à s’en plaindre. Mais j’ai perdu ma fille aînée Anne qui est partie bru chez les Peynot aux Taches. Nous avons besoin, ma Magdeleine et moi, de notre Elisabeth ici. Mon fils Claude est maçon et fait les chantiers dans l’Oise avec son cousin François. La Marguerite partira comme bru également aux Taches en épousant le Pierre le frère du François Peynot et ma deuxième, Anne, est partie domestique à Boisfranc chez les Dufour. J’ai donc besoin d’un gendre ici. Il restera de la place pour coucher ton Jacques avec mon Elisabeth, le grenier est assez grand pour nous et pour eux, même avec des petits.
- Cela nous convient, père Boyer, répond le patron de Jacques en tapant dans la main de François Boyer, nous reviendrons un soir au moment du repas.
(à suivre)