Le 17 septembre 1824 François Glomot de retour du bourg de Jouillat colporte une triste nouvelle ; Le roi Louis XVIII vient de passer de vie à trépas.
Anne Belugeon, la veuve du Jean Gerby décédé en migration à Lessard-en-Bresse, il y a déjà deux ans, descend du Couderc avec ses moutons. Elle aperçoit la Sylvaine Guyot, l’épouse du François Glomot, qui tire de l’eau à son puit. Comme à son habitude elle en profite pour l’interpeller sur sa misère depuis la mort de son Jean dont le corps est resté là-bas dans une fosse commune. Comment est-il mort ? Un accident, une maladie ou peut-être même une rixe entre maçon ? La Sylvaine un peu agacée par la rengaine la rabroue en lui lançant :
- Et le roi qui vient de mourir ! Il était bon pour tout le monde ! Nous vivions en paix avec lui que va-t-il nous arriver maintenant ?
Anne baisse la tête. Elle sait bien que le village la prend pour une folle. Elle se moque du roi, de la paix, de tout le village. Ce qui la ronge c’est l’absence de son cher époux heureusement il lui reste ses deux fils.
Jacques Lasmier pioche une « raie » de pommes de terre devant son épouse Elisabeth et sa sœur Marguerite qui le suivent à genoux ramassant et triant dans deux paniers la récolte. Les petites pour les cochons et les grosses pour les repas du soir écrasées dans le lait. Du fond de la terre des « Bujeaux », Lasmier voit arriver en courant et hurlant son beau-père le François Boyer.
- Le roi est mort ! Le roi est mort !!!!
Jacques reste impassible un léger sourire aux lèvres. Le père Boyer fou de colère s’emporte.
- Bien sur toi avec ton Napoléon ça t’es égal qu’un bon roi qui, lui, nous a apporté la paix disparaisse. Tu verras, tu verras ce qui va nous arriver maintenant.
Lasmier ne répond pas à ce beau-père qu’il commence à haïr pour l’avoir choisi comme gendre afin de faire de lui son “commis” . Heureusement il y a son Elisabeth mais elle ne lui fait pas oublier les filles des cabarets parisiens qu’il fréquentait durant ses migrations. Le vieux Boyer est un âne, marmonne-t-il en silence. Il oublie le fils de l’empereur. Il va revenir d’Autriche pour continuer l’œuvre de son père et moi j’irai le rejoindre pour ne plus voir ce vieux fou.
Mais Lasmier se trompe. Le fils de l’ex-empereur, l’Aiglon, vit pratiquement en captivité. On lui confie le commandement d’un régiment autrichien. De plus il est de santé fragile, rongé par la tuberculose. Non il n’y aura pas de Napoléon II mais un nouveau roi et il ne sera pas si modéré que le roi défunt. Celui que l’on appelle le comte d’Artois, frère cadet de Louis XVI et de Louis XVIII est très attaché aux idées de l’ancien régime. Il est le soutien indéfectible des ultras. Sous le règne de son frère son influence a grandi. Il combat le ministre Decazes. L’assassinat de son second fils, le duc de Berry en 1820, lui permet de faire renvoyer Decazes et d’appeler Villèle, le chef de la droite. Le succès de l’expédition d’Espagne, commandée par son fils aîné, le duc d’Angoulême, accroît encore son autorité. Dès le décès de son frère, Louis XVIII, il garde le ministre Villèle et laisse prendre des mesures réactionnaires et le 25 mai 1825 en grande pompe à Reims il se fait sacrer roi sous le nom de Charles X ressuscitant les rites séculaires de l’ancien Régime.
Chez les Boyer, durant les repas, la politique anime le peu de discussions entre le beau-père et le gendre.
- Tu vois bien ce que je te disais. Nous voilà revenus au temps des anciens rois. Tu peux parler de ton Napoléon II. Il se moque de la France il est bien mieux dans son pays qui est finalement l’Autriche. Jacques Lasmier rétorque entre sa moustache en évitant de croiser les yeux de son beau-père.
- Il y a déjà eu une révolution. Il peut très bien y en avoir une autre.
- La révolution, la révolution vous n’avez que ce mot à la bouche vous les jeunes.
Cette fois Lasmier hausse le ton
- Oui la revolution, vous en avez bien profitée chez vous avec vos manigances. Le père Boyer se lève d’un bon en tapant sur la table.
- Et alors, je ne suis pas le seul. Et toi, tu n’en profites pas en ce moment ? Si je ne t’avais pas donné ma fille tu serais toujours en train de casser des cailloux à la carrière de Champsanglard.
La Magdeleine, la belle-mère Boyer qui habituellement ne se mêle pas de ces conversations réservées aux hommes ose intervenir en regardant sa fille Elisabeth assise prêt de l’âtre d’où sort une épaisse fumée qui envahit la pièce.
- Vous feriez mieux de vous préoccuper de l’Elisabeth qui est morte de fatigue. Mais vous les hommes ça ne vous concerne pas ! Seulement pour engrosser vos femmes vous êtes bien vaillants. L’Elisabeth est grosse comme la Anne Tallaire d’en face. La Anne a tout juste accouché de la Marie que son Jean-Antoine l’a refaite grosse !…
- Ça s’arrose ça ! Je vais avoir un gars.
Au lieu de trinquer avec son beau-père, Lasmier sort d’un bond de la pièce et le bâton à la main descend vers le bourg de jouillat s’enivrer chez le cabaretier Chazeaud pour en revenir qu’à la nuit s’effondrer ivre mort sur la paillasse où dort déjà son épouse Elisabeth.
Lasmier infidèle
Le torchon brûle entre Jacques Lasmier et son beau-père. Les deux hommes ne s’adressent plus la parole. Si Lasmier garde d’excellents rapports avec l’ensemble de sa belle famille, la flamme qui l’animait envers son épouse commence à s‘éteindre. Malgré la naissance d’une petite Marguerite, la cohabitation devient de plus en plus tendue entre le gendre et les beaux-parents. Sur les conseils de son beau-frère François Peynot, Jacques décide de reprendre la migration parisienne comme tailleur de pierres. Elisabeth ne le retient pas. Elle a compris que la vie commune n’est plus possible. Ces séparations annuelles finiront peut-être par les rapprocher un jour.
Au printemps, l’ancien bonapartiste reprend le chemin de la capitale après avoir une seconde fois engrossé son épouse.
A son retour, Lasmier est père d’une seconde fille une petite Anne. Il apprend que l’Annette Glomot a épousé dernièrement Jean Champlon. Que l’Antoinette Petit l’épouse de l’Alexis Aubreton a accouché elle aussi d’une petite Anne au Couderc.
Entre le gendre et le beau-père, ça ne s’arrange toujours pas. Elisabeth est malheureuse. Elle s’aperçoit bien qu’elle perd son mari. Elle remarque que Jacques descend de plus en plus du côté de chez les Hétève courtiser la Sylvaine qui pourtant a Antoine Bordet comme « galant » qu’elle finira par épouser à la fin de l’hiver. Lasmier est furieux. Le jour du mariage il cherche querelles à Pierre Hétéve, le frère de la mariée, à qui il reproche de trop s’intéresser à Françoise Tingault sur laquelle il espère conclure un nouveau projet d‘adultère. Elisabeth ne dit mot devant tous les désordres que provoque son mari. Elle préfère rejoindre ses parents qui ont refusé de participer à la noce craignant les écarts de leur gendre. Elisabeth s’assoit près de sa mère, la Magdeleine près de qui dorment dans un berceau de bois les petites Marguerite et Anne. Des larmes coulent sur ses joues. Elle n’ose pas annoncer à sa mère qu’elle attend encore un enfant de ce diable de Lasmier.
Complètement ivre Jacques ne rentre pas au foyer. Il préfère prendre le chemin de Jouillat sur lequel il s’écroule ivre mort. Vers le matin, François Boyer, le cousin germain d’Elisabeth qui revient de la noce, le trouve transi de froid, allongé dans le marais de Villemorle. Il le charge sur ses épaules et le ramène à Jouillat à demi-conscient. Mais Lasmier est robuste. Après un bon repas prit à l’auberge il décide de prendre le chemin de Paris.
- Penses à ta femme et à tes filles, ose opposer son cousin germain par alliance.
- Je reviendrai quand le vieux ne sera plus là. Si je reste je crains de finir par le tuer. Jacques s’en va malgré la neige qui commence à tomber.
Après Lombarteix, il longe le village « des Ribières » pour retrouver la chemin de La Châtre à « la Chapelle » qui le conduira jusqu’à Paris.
(à suivre)