Au mois d’août 1829, le village de Lacoux est en pleine moisson. L’année précédente Pierre Hétève a « marider » la Françoise Tingault. Jean Germain et Marguerite Dufour ont eu un petit Joseph. Par contre, le père Annet Godard était décédé. Il a laissé seuls le frère et la sœur, Annet et Anne. Elisabeth Lasmier a accouché de sa troisième fille, Marie, sans la présence de son mari qui vit désormais à Paris dans le quartier Saint-Marcel en gagnant sa vie comme tailleur de pierres. Il fréquente les maçons du Limousin avec qui il s’enivre dans les cabarets de la rue Mouffetard.
Sur un chantier parisien Jacques fait la connaissance d’un maçon creusois. Ce maçon vit à Paris dans la rue Saint-Jacques. Il a quitté définitivement son village creusois de La Borde dans la commune de Saint-Dizier les Domaines. Il se nomme Pierre Guillion. Son père a été un membre actif de la grande Révolution. Son oncle a même été Maire de la commune. Au décès de son père, il sait trouvé à la tête de la propriété. Mais au décès prématuré de son épouse, il lègue tous ses biens à son frère Jean qui vit au domaine du Magnaud prêt de Châtelux Malvaleix. Pierre partira vivre à Paris où il rencontrera une brave ouvrière qui travaille dans une tannerie sur le bord de la Bièvre à Bagneux avec qui il se mettra en ménage dans un petit meublé. Pierre Guillion a une cinquantaine d’années. C’est un brave homme qui garde en lui une grande nostalgie du pays avec un petit côté rebelle qu’il tient de son père et une grande admiration pour l’empereur pour qui un de ses cousins et homonyme « Pierre Guillion » a donné sa vie en faisant parti du 54ème régiment de ligne. Ce dernier décéda le 25 avril 1812, à l’hospice de Meaux en Seine et Marne. C’est ce qui l’a rapproché de Lasmier cet écorché vif bonapartiste qu’il doit parfois modérer dans ses élans. Pierre reçoit régulièrement des nouvelles du pays par l’intermédiaire d’assemblées de maçons qui se réunissent régulièrement dans le quartier Mouffetard. C’est dans une de ces assemblées qu’il apprend la naissance, ces derniers mois, d’une nouvelle petite nièce, Marie, la seconde fille de son frère Jean du Magnaud. Son frère jusqu’à ce jour n’a eu que des filles. Son aînée Marguerite a dix huit ans. Marie Beauvais, l‘épouse de Jean, a bien accouché de deux garçons mais ils meurent quelques jours après leur naissance ce qui rend son frère Jean très inquiet pour la succession du domaine.
Lasmiers participe maintenant à ces assemblées. On y boit moins que dans les cabarets mais on y parle beaucoup politique. Le sujet essentiel est ce Charles X qui a pratiquement réinstauré un régime monarchique dur que les ouvriers maçons creusois ont très souvent combattu.
Charles X, un peu à contre cœur appelle un ministre modéré, Martignac. Mais celui-ci s’oppose à la politique cléricale et le souverain, prisonnier du « parti prêtre », le remplace par le chef des ultras; Polinaque le 8 août 1829. La brillante expédition d’Alger, destiné à donner de l’éclat à la couronne, n’a finalement pas amélioré la popularité du roi.
Le 26 juillet 1830 Charles X promulgue des ordonnances qui provoquent la colère des français. L’une d’elles supprime la liberté de la presse. Les journalistes s’agitent. Au bureau du « National » Thiers rédige un appel à la résistance qui est affiché le lendemain dans les rues.
Le 27, l’émeute éclate dans la capitale. Les insurgés construisent rue Saint-Honoré la première barricade et se procurent des fusils. Le roi remet le commandement au Maréchal Marmont , impopulaire et incapable. Les barricades fleurissent dans Paris. Les rues étroites et sinueuses permettent de faire subir des pertes importantes aux troupes essayant de les dégager.
Au cours de la nuit, l’effervescence grandit. Le 29 les insurgés s’emparent de l’Arsenal, de la poudrerie de la Salpêtrière, ainsi que de l’Hôtel de Ville. Marmont tente une offensive et reprend l’Hôtel de Ville qui est aussitôt reprise par les émeutiers ce qui force Marmont à se replier sur le Louvre et les Tuileries. Le lendemain, le 29 juillet, l’escalade des galeries du Louvre permet aux insurgés de dominer les soldats entassés dans la cour du Palais provoquant la panique et la fuite de Marmont vers Saint-Cloud. En trois journées, les Trois Glorieuses, le peuple parisien remporte la victoire.
Parmi les émeutiers de l’Hôtel de Ville les maçons creusois étaient en premières lignes avec dans leurs rangs Jacques Lasmier et son ami Pierre Guillion.
Le 30 juillet les maçons provoquent une assemblée exceptionnelle afin de faire le point sur les victimes de ces trois jours d’émeutes. Beaucoup d’entre eux furent tués ou blessés. Quant à la situation politique, des bruits courent que certains députés songent à proclamer la République avec La Fayette comme président, mais Thiers et Lafitte préconisent une monarchie libérale, avec le duc d’Orléans. L’Assemblée des maçons creusoise se termine en espérant que les partisans de la République l’emporteront.
Finalement, la lieutenance générale du royaume est confiée à Louis Philippe qui l’accepte et se fait acclamer par la foule en embrassant La Fayette au balcon de l’Hôtel de Ville. La crise est dénouée mais la Révolution du peuple est escamotée par les Orléanistes. Charles X abdique le 2 août en faveur de son petit-fils, le duc de Bordeaux. Louis-Philippe prend le titre de roi des Français le 9 août 1830.
Lasmier lors d’une assemblée est interpellé par un maçon creusois qui lui glisse à l’oreille :
- J’ai su que ton beau-père, le Boyer, a été mis en terre depuis un mois. Délors, ton Elisabeth est malade. Elle est seule avec ses trois gamines, sa sœur Marguerite et sa mère la Magdeleine. Elle travaille de trop ce qui l’a fait beaucoup tousser. Elle a bien cédé quelques terres à sa sœur la Peynot mais ça lui fait encore de trop. Avant de mourir « le vieux » avait déposé un testament au notaire de Jouillat. Tu devrais peut-être t’en préoccuper.
Jacques Lasmier, loin d’être bouleversé par ces nouvelles, paraît plutôt surexcité. Il cherche du regard son ami Pierre Guillion. Il l’aperçoit attablé dans un coin occupé avec quelques maçons, à commenter les derniers évènements qui font de Louis Philippe un nouveau monarque.
- Tant pis pour Louis Philippe et le travail au chantier lance Jacques à son ami en lui annonçant la nouvelle concernant le décès de son beau-père.
- Il faut que tu rentres au pays avant que ta femme ne cède tout à ses sœurs et son frère. Tu dois voir le notaire. Si tu as besoin de te loger va chez mes frères Jean au Magnaud où Etienne à Beybe lui pourra t’aider. Il est garde champêtre. Vas-y de ma part.
Sur ce, Jacques Lasmier, après avoir chaleureusement remercié le vieux maçon se précipite à son logis de Saint-Marcel prendre quelques hardes qu’il enfourne dans un baluchon. Il règle son loyer. Le lendemain matin à l’aube, Lasmier prend la route qui le ramènera à Lacoux.
(à suivre)