En octobre Pierre Guillion et Jacques Lasmier n’ont pas renouvelé leur contrat pour un nouveau chantier. Ils sont retournés à La Borde où ils vivent en faisant des journées chez les paysans.
Par un bel après midi d’automne, les deux amis empruntent le chemin où, il y a bien longtemps, Pierre avec son père mourant sur les épaules, redescendait du Magnaud. Car c’est bien au Magnaud qu’ils se rendent chez Jean Guillion et Marie Beauvais. Pierre dans le rôle « d’ambassadeur » auprès de son frère pour son ami Jacques. Ce dernier s’est décidé à épouser la nièce de Pierre ; la Marguerite.
- T’es ! Voilà les deux oiseaux s’écrie la Marie Beauvais en se jetant dans les bras de son beau-frère. Mon Jean vous attend « à maisou »
- Entre donc mon frère avec ton compère. La Marguerite va nous faire la « moulette ». Je sais pourquoi vous êtes venus. Ton Jacques veut « marider » la Marguerite ? J’dis pas non. La Marguerite non plus.
Sans lever la tête du bol dans lequel elle bat les œufs Marguerite répond
- Puisque le père le veut !
- Oui je le veux. Notre famille ne peut pas rester dans le déshonneur tout le temps.
En s’adressant à Lasmier Jean Guillion interroge :
- As-tu une « maisou » ? Car il n’est pas question que tu restes « gendre » ici. La Marguerite et sa petite doivent quitter la commune.
- Mon Jacques ne possède rien, à part quelques terres à Lacoux, dans la commune de Jouillat venant de sa défunte épouse rétorque Pierre Guillion.
- Si, il y a une vieille « maisou » qui ne sert plus à rien dans le village de Lacoux, je l’achèterais. Vous pourriez y demeurer ?
Jacques qui jusqu’à ce moment n’avait dit mot suggère:
- Il y a bien la demeure où j’ai vécu avec défunte mon épouse. Elle est à ce jour à mon cousin par alliance le François Boyer. Il est maçon à Compiègne et revient pour la Noël chez lui à Jouillat. La « maisou » est fermée sauf la bergerie et les greniers. La propriété est en fermage.
- Je me rendrai à Jouillat après la Noël voir ton cousin conclut Jean Guillion.
Un matin du début Janvier 1846, sous un froid intense mais sans neige, Jean Guillion emmitouflé sur sa carriole à âne du dimanche, descend « le chemin de Lacoux ». Arrivé à la première maison du village, chez les Chambon, il demande la demeure des Durand les fermiers des Boyer. Arrivé devant la porte, il est accueillit par la mère Durand à qui il fait part de l’objet de sa visite, aller voir la demeure des Boyer.
- « T’arrivas bin ! ». Le François Boyer est là. Avec mon époux. Ils comptent les revenus de la récolte de cet été.
Jean en s’excusant de les déranger dans leurs affaires se présente.
- T’es le fils de l’Antoine et le neveu du Sylvain Guillion. Mes vieux m’ont parlé d’eux. C’étaient de sacrés « bonshommes » bon Dieu ! Qu’es-ce qui t’amènes ici ? Jean Guillion lui explique sa situation et ses intentions.
- Je comprends le Jean, je comprends. C’est bien du malheur d’avoir une fille qui a eu une petite sans mari. J’accepte ta proposition, car les Guillion ont une bonne réputation dans toutes les communes et puis j’ai toujours eu de l’amitié pour mon ex-cousin Jacques Lasmier. Nous allons pouvoir nous mettre d’accord. Mangeons d’abord et nous irons à la « maisou ».
Vers les quatorze heures, les deux négociateurs sont devant la maison qui a vu vivre l’oncle de François Boyer et sa famille dont Jacques Lasmier et son épouse défunte Elisabeth avec leurs trois filles.
- Voilà la « maisou ». Mais je ne peux t’en vendre que la moitié. Je commence à me faire un peu vieux pour monter tous les ans à Compiègne. Malgré le chemin de fer qui va arriver à Châteauroux, le voyage deviendra encore trop dur pour moi. Je vais laisser mon entreprise de bâtiment à mon cousin germain le Claude le frère de la défunte épouse du Lasmier. J’ai l’intention de vendre mon fermage de Jouillat et rester à Lacoux. Mes rentes me suffiront pour vivre mon épouse et ma fille Marie. Je peux donc te vendre le côté de la bergerie avec son grenier, moi je logerai dans la « maisou » qui touche la bergerie. Je garde aussi la grange qui colle à la « maisou » et la chènevière qui est derrière l’autre bout jusqu’à chez les Bazot qui est à ma petite cousine, Marguerite la domestique des Bichon, la fille du Jacques et de l‘Elisabeth.
- C’est peu. Il me faudrait un peu de terrain près de la « maisou.
- Je peux, le Guillion, mais se sera beaucoup plus cher.
- Dis toujours. Je compterai ma bourse.
- Je peux te vendre l’autre bout de chènevière qui longe le jardin du Jean Guinjard qui va jusqu’à la grange des Tallaire avec la porcherie, poulailler et la « chambre de four ». Seulement je te demande le droit de cuisson dans la « chambre de four » en échange je te laisse celui de puiser l’eau du puits qui est devant chez « me ».
A la nuit tombante François Boyer et Jean Guillion avaient “tapé”. Dans la nuit noire Jean Guillion est de retour au Magnaud. A la fin de la semaine il se rendra avec François Boyer chez le notaire de Jouillat régler la vente qui a été « tapée ». Il ne restera plus qu’à publier les bancs à Jouillat et Chatelux Malvaleix ainsi la Marguerite Guillion avec sa petite Gilberte quitteront le Magnaud permettant à son père de récupérer son honneur.
Le 19 février 1846 Jacques, le veuf, et Marguerite, la mère sans mari, s’unissent entre quatre témoins : François Boyer et François Peynot pour Jacques Lasmier. Pierre et Etienne Guillion pour Marguerite.
C’est une noce bien réduite qui assiste à cette union : Jean Guillion et Marie Beauvais, les parents de la mariée accompagnés de Marie Guillion, qui tient par la main la petite Gilberte maintenant belle-fille de Lasmier. Les trois filles de Lasmier et quelques proches voisins de Lacoux.
Le nom de la mariée et encore plus son orthographe étant peu connus par le secrétaire de la Mairie de Jouillat lui ont fait perdre le « i » entre le “ l “ et le “ o”. Désormais Marguerite et sa fille naturelle deviennent des filles « Guillon ».
Un repas et un bal sont malgré tout organisés dans la grange de François Boyer.
Cette même année plusieurs mariages mettent en fête le village de Lacoux. Au Couderc Anne Aubreton épouse Jean Michaud de Glénic. Après le décès de leur père François deux ans plus tôt, les deux frères Glomot marient les deux sœurs Duclosson de Péchadoire. Antoine Tallaire s’unit à Anne Razet.
Des nouveaux noms apparaissent dans le village plus précisément au Couderc. Suite au mariage de la fille Aubreton et au décès de son père la maison devient une « maison Michaud ». Antoine Gerby vend les bâtiments et une partie des terres à François Peynot des Taches l’ex beau-frère de Jacques Lasmier. L’épouse d‘Antoine Gerby, Sylvaine, après le décès de sa mère Jeanne Parot, vend la propriété du Couderc à Antoine Cacard des Ribières. La « maisou » Boyer est coupée en deux. A la Cournière, François Boyer vit de ses rentes avec son épouse Berthe Durand et leur fille Marie. Accolée à eux, la maison du Jean Guillion, ou vivent sa fille Marguerite avec son mari Jacques Lasmier et la petite Gilberte âgée de sept ans la fille naturelle de Marguerite Guillon.
Lasmier a bouché la communication qui reliait les deux greniers de l’époque de sa défunte épouse Elisabeth. Il garde la bergerie du rez-de-chaussée et recouvre le tout de tuiles. Marguerite élève des moutons, chèvres, porcs et volailles. Lasmier cultive les terres que sa première épouse lui a laissées ainsi que celles qui sont revenues à ses filles, toutes les trois domestiques et toujours pas mariées. Jacques cultive également les terres que son voisin mitoyen cousin par alliance, François Boyer, lui a laissées en fermage.
Toutes ces vies glissent tout doucement vers la révolution de 1848.
(à suivre)