En octobre 1850, à la revue de Satory, la troupe crie “Vive l’Empereur” au passage de Louis Napoléon Bonaparte. On comprend alors que l’armée est mûre pour un coup d’état. Louis Napoléon, élu président de la République le 10 décembre 1848 pour quatre ans, n’est plus rééligible. Ne pouvant obtenir d’une Assemblée, incommode, la révision de la Constitution qui lui permettrait de garder légalement le pouvoir, il se décide à l’action illégale. Le deux décembre 1851 le préfet de police Maupas fait arrêter Tiers, Cavaignac, Changarnier, Lamoricière et Bedeau. En même temps, le général Magnan poste des troupes sûres aux points stratégiques. A six heures du matin, Morny réveille le ministre de l’Intérieur, Thorigny, et lui dit:
- C’est moi qui aie l’honneur de vous remplacer.
A sept heures, des proclamations sont affichées : Dissolution de l’Assemblée Nationale, maintien de la République, rétablissement du suffrage universel, élaboration d’une Constitution, etc.
Le trois décembre au matin, une barricade se dresse faubourg Saint-Antoine. Un soldat est tué, la troupe riposte. Morny laisse se développer l’insurrection pour mieux l’abattre. Le quatre, dans l’après midi, les troupes de Magnan passent à l’action. Deux cent neuf curieux ou insurgés sont tués et plusieurs centaines, blessés. En province, des mouvements de résistances sporadiques sont vite réduits. L’épuration est rondement menée. Le coup d’état est un triomphe. La France l’approuve le 20 décembre 1851 à une écrasante majorité. Le 21 décembre a lieu le plébiscite en faveur de Louis Napoléon Bonaparte.
Le 14 janvier1852, Louis Napoléon promulgue une Constitution taillée sur mesure. Elle lui donne la présidence pour dix ans et tous les pouvoirs. Quelques mois plus tard constatant que « la France semble bien vouloir revenir à l’Empire », il en propose le rétablissement, à la suite d’un sénatus-consulte, massivement approuvé le 21 novembre, il se fait proclamer empereur le 2 décembre sous le nom de Napoléon III.
Les creusois approuvent à une très forte majorité le rétablissement de l’Empire en particulier les anciens nostalgiques de Napoléon I comme Jacques Lasmier.
A la fin de l’année 1850, quelques mois après la naissance de sa fille Marie qu’il a eu avec Marguerite Guillon, Jacques Lasmier devient grand-père par sa fille aînée de son premier mariage, Marguerite, qui demeure comme domestique chez les Bichon. Il fait accoucher sa fille par son épouse qui a des talents de sage-femme dans le village.
La mère ira elle-même déclarer le nouveau né. Elle le déclarera sous le nom de François Naturel avec un ajout : « dit Lamier » en oubliant le « s ». L’enfant sera élevé chez les Lasmier jusqu’à l’âge de douze ans avant de partir pour Paris comme migrant maçon avec celui qu’il considère comme son frère, Jean Glomot. Les deux enfants prendront seuls la route de Paris. Ils seront pris en charge par un groupe de migrants qui monte sur la capitale. Les deux gamins seront confiés à la patronne d’un hôtel de la rue Mouffetard. Ils reviendront au pays plusieurs années plus tard. Le jeune François logera chez son grand-père, devenu “le vieux Jacques”.
Le 3 mai 1854 à 11 heures du soir le quartier du Couderc de Lacoux est en deuil. Sous une pluie battante avec ce printemps qui n’arrive pas à « démarrer » le père et le fils Peynot sont en larmes devant la dépouille de leur mère et épouse Anne Boyer. Ces Peynot ont quitté les Taches en rachetant une partie de la propriété des Gerby avec les anciens bâtiments. Le fils n’a que vingt ans et n’est toujours pas marié. La sœur de la défunte, Marguerite Peynot, l’épouse de Pierre Peynot est venue des Taches avec son mari pour assister sa sœur dans ses derniers instants. Elle prépare la maison pour la première « veillée ». Elle arrête la pendule, couvre le miroir et dispose une branchette de buis près d’un bol qui sera rempli d’eau bénite. Comme sa sœur Elisabeth Lasmier, Anne a succombé dans une énorme quinte de toux. Cette toux qui la rongeait, également, depuis des mois. Assis devant la porte de la grange le commis de Pierre Peynot aux Taches, Pierre Dufour, est venu pour s’occuper des bêtes pendant les journées de deuil. Il ira demain matin à Jouillat déclarer le décès de la Anne.
Dans la nuit, Pierre Peynot descend à la « Cournière » chez le cousin François Boyer lui annoncer la triste nouvelle. Il n’ira pas chez le Jacques Lasmier, l’ex beau-frère de Anne. Son épouse doit être couchée et la Marguerite Guillon n’apprécierait pas d’être tirée de son sommeil. Le lendemain matin Pierre Dufour et François Boyer sont à la Mairie de Jouillat pour déclarer le décès. Le soir Jacques Lasmier et Marguerite Guillon montent au Couderc pour « donner l’eau bénite » que les deux déclarants ont ramenée de l’église de Jouillat. Les « veilleuses » sont déjà présentes : La jeune épouse de Joseph Germain, la Marie Chadet et sa belle-mère la Marguerite Dufour, Marie Tallaire la future épouse de Pierre Guillemet, La Marie Duclosson l’épouse d’Antoine Glomot, la proche voisine du Couderc la Anne Aubreton la femme de Jean Michaud, la Sylvaine Gerby avec sa fille Jeanne, la Jeanne Godard la fille de Annet et Marguerite Godard pour finir la Anne Razet l’épouse d’Antoine Tallaire.
Quatre jours plus tard sur le chemin des morts le tombereau cahotant transporte à Jouillat le cercueil d’Anne Peynot, fille Boyer. Tout le long du chemin, Lasmier ne peut s’empêcher de se souvenir de la noce de la défunte où il rencontra sa première épouse Elisabeth.
Dix jours après le décès d’Anne Peynot vers midi, arriva tout essoufflé, Antoine Glomot chez les Lasmier.
- Jacques ta Anne vient d’accoucher d’un « p’tit gars » chez « me ».
Anne était la fille préférée de Lasmier. Lorsqu’elle apprit sa grossesse en étant « fille » elle a craint la colère de son père comme celle qu’il traîne encore envers sa soeur la Marguerite. Mais pour elle, il n’en a rien été. Au contraire il aurait souhaité qu’elle vienne accoucher chez lui. C’était sans compter sur son épouse la Marguerite Guillon.
- Puisqu’elle s’est faite « engrosser » chez les Glomot, qu’elle y « ponde ». Si ça se trouve c’est l’Antoine le père ou son frère peut-être même leur commis le Jean Lamoureux de Villemorle. Ici ce n’est pas « une niche » pour des filles Boyer. C’est une « maisou » Guillon.
Jacques n’a pas insisté. Il connaissait la rudesse de sa femme. Elle aurait été capable de faire trépasser son petit-fils. Il se contenta de descendre à Jouillat avec Jean Lamoureux le commis des Glomot, déclarer la naissance de cet autre petit François fils naturel de Anne Lasmier.
Le début décembre de cette même année, l’hiver commence à s’installer sur Lacoux. La neige n’est pas encore là mais sera présente pour Noël. Les maçons reviennent chez eux jusqu’au printemps suivant. Le fils Peynot a pris les rênes de la propriété au Couderc aidé par son oncle Pierre des Taches et son commis Pierre Dufour. Le François Boyer vient bien souvent lui « donner aussi la main ». La Gilberte, la femme du père Boyer et sa tante Marguerite, la sœur de défunte sa mère Anne, viennent l’aider dans les taches ménagères. Il a aussi l’aide de ses voisins les Michaud et les Cacard nouveaux propriétaires de la seconde propiété Gerby mitoyenne. Le jeune homme ne peut plus compter sur son père. Le pauvre homme n’a jamais pu se remettre de la mort de son épouse. La boisson fait désormais partie de son quotidien. Ce soir du huit décembre, à huit heures François Peynot s’étonne de ne pas voir son père couché sur sa paillasse. D’habitude dès la nuit tombée il s’affale pour la nuit cuver les litres de cidre qu’il a bus dans la journée. Il allume une lanterne et va chez les Cacard si dès fois il n’était pas parti à la « veillée ». Passant devant la grange, il aperçoit la porte encore ouverte. Intrigué, il promène sa lanterne à l’intérieur du bâtiment. Au pied de l’échelle qui monte au « chambras » son père est là allongé de tout son long dans une mare de sang une fourche enfoncée dans la poitrine. François Peynot affolé se met à courir chez les Cacard, chez les Michaud en hurlant :
- le père c’est tué ! Le père c’est tué !
Jean Michaud accourt, la lanterne à la main, et découvre le corps.
- Il est bien mort, affirme t’il à Antoine Cacard qui vient d’arriver, Il a du vouloir monter au « chambras » avec sa fourche et il a perdu l’équilibre et comme il est « fiolé » tous les après midi ce n’est pas étonnant qu’il ait perdu l’équilibre.
A vingt ans François Peynot se retrouve seul. Il attendra huit ans avant d’épouser la belle Marie Colas.
L’année suivante, le 30 mars 1855 l’hiver résiste toujours. Hier encore la neige est tombée et il fait froid. En fin d’après midi, Jacques Lasmier va chercher sa fille Anne qui travaille chez les Glomot. Elle est retournée loger chez son père depuis qu’elle a donné naissance à son fils François malgré les réticences de la Marguerite Guillon. Le petit fils de Lasmier n’a cessé de pleurer et pousser des cris, durant toute la journée, qui ont fini par inquiéter son grand-père. La Marguerite Guillon pour ne plus entendre les cris du bébé a monté le petit berceau de bois dans le fond du faux grenier au milieu du foin en grognant que ce bâtard était bien « chti ». Anne furieuse après sa belle-mère la bouscule violemment contre l’échelle qui monte au faux grenier et redescend son fils qui est à la limite de l’étouffement.
- Il dormira ici près de moi que ça te plaise ou non vieille saloperie !
La femme de Lasmier sort de la pièce descend l’escalier de pierre en manquant de louper une marche tant que sa colère l’aveugle. Elle crie le nom de sa fille Gilberte afin que l’adolescente qui a maintenant seize ans, aille garder les brebis à la Vergne.
- Fainéante, crie-t-elle à sa fille. Tu iras domestique. Au moins tu ramèneras une bourse. C’est ma petite Marie qui s’occupera des moutons, elle n’a que cinq ans mais elle sera encore meilleur bergère que toi, fille du diable !
Durant toute la nuit Anne tient son enfant dans ses bras. les pleures de l’enfant se transforment en hurlements. Lasmier est auprès de sa fille tandis que la Marguerite tente de dormir tout en marmonnant à l’autre bout du grenier enfoncée dans sa paillasse. Gilberte et la petite Marie qui fond lit commun, tentent également de trouver le sommeil en se bouchant les oreilles. Marie se blottit contre sa demi-sœur en pleurant. A cinq heures du matin l’enfant se tait. Il ne bouge plus. Lasmier aperçoit un filet de sang et un liquide gluant qui sort des narines du petit François. C’est sa cervelle qui s’écoule. Aujourd’hui on appellerait cela une méningite. Le bébé vient de succomber. Anne qui tient toujours son petit se met à hurler :
- « o est mort ! o est mort ! »
Les deux jeunes demi-sœurs, en larmes, sautent de leur paillasse rejoindre leur grande « sœur » et son enfant qui gît dans ses bras. Lasmier se lève de sa chaise, se dirige vers la porte et croise sa femme sur l’escalier. Il la regarde sans lui dire un mot. Arrivé dans la cour il va frapper à la porte des Boyer. François le reçoit devant un verre de « gniole ». Eux aussi n’ont pas dormi. Les cris du bébé les ont effrayés.
- Viens mon Jacques, « assis te » et prends un verre de « gniole » ça te donnera de la force pour descendre à la Mairie. Une fois le jour définitivement levé les deux cousins par alliance descendent vers les marais de Villemorle pour se rendre à Jouillat déclarer le décès de François Lasmier le petit-fils de Jacques Lasmier.
(à suivre)