Le chemin des morts 30 Le diable au Magnaud
Le bébé et la maman sont bien accueillis au Magnaud par les vieux Guillion. Les braves vieux ne sont plus tracassés par le déshonneur qui les a fait marier leur fille Marguerite à Jacques Lasmier. Jean a soixante dix sept ans et Marie soixante quatorze. Le poids des ans fait que les commérages ne les choquent plus. Leur fille cadette Marie, a mis au monde comme sa sœur Marguerite, une petite fille naturelle. L’enfant a 2 ans et se prénomme Gilberte comme sa cousine la fille de sa tante Marguerite. Marie a quitté le Magnaud avec sa fille pour travailler au relai de poste de Châtelux Malvaleix.
Marie fait embaucher au relais sa nièce Gilberte. Les vieux Guillion gardent le petit François, eux qui n‘ont pu avoir de garçons sont plein d’affection pour lui. La vie s’écoule tranquille au Magnaud.
A Lacoux ce mois de Mars 1862, on vient de fêter, au Couderc les noces de François Peynot, le fils de Anne Boyer et François Peynot, avec Marie Colas. Il parait qu’un futur Léonard a précipité les noces. La petite bergère Marie Lasmier a été de la noce. Avec ses douze ans elle a été même la fille d’honneur de la mariée. Un après midi qu’elle garde les moutons et les chèvres de l’Antoine Glomot dans les près des « Riaux » Elle aperçoit un des chevreaux escalader le muret qui borde le pré afin de s’engouffrer dans le bois. Aussitôt Marie envoie sa chienne « Folette » ramener le fugueur. Mais arrivée devant le mur de pierres la chienne s’arrête net.
- Folette ! « vas la car » ! (va les chercher) Allez !
Crie-t-elle à sa chienne. Mais la chienne ne bouge toujours pas et reste à l’arrêt.
Marie tout en pestant après sa chienne, se lève de son « chérrier » qui lui sert de tapis de sol. Elle empoigne son bâton et se met en quête de rattraper elle-même le chevreau qui a disparu dans le bois. Tout en assénant un coup de bâton à sa chienne, elle pose sa main de libre sur le muret pour l’escalader. A cet instant même elle ressent une légère douleur comme une piqûre de ronce au poignet. Elle n’y prête pas plus attention et monte sur le mur et là stupeur ! Elle voit se faufiler entre les pierres un aspic rouge tout en voyant deux points noirs sur son poignet. Marie à compris l’attitude de la Folette.
- Je suis « piqua », je suis « piqua » ! S’écrit-elle en se mettant à courir vers le village.
C’est en cette saison que ces reptiles sont les plus dangereux. L’été la chaleur les endore, mais au printemps ils sont à leur maximum de leur agressivité .Leur poche de venin est pleine. Le fait de courir augmente la circulation du sang ce qui a pour effet de transporter le venin plus vite vers le cœur.
Arrivée devant chez elle, Marie crie : - « o et été piqua, o et été piqua »
Marguerite en voyant le bras de sa fille déjà presque tout noir a compris.
- « do lait, do lait, boit do lait » crie-t-elle en lui emmenant un grand bol de lait de chèvre. C’est de cette façon que l’on arrive à sauver les chiens qui se font piquer. Mais pour une petite adulte c’est différent. La fièvre commence à monter. Toute la nuit son père et sa mère vont la veiller. Son petit corps est devenu presque tout noir. La fièvre la fait délirer. Au petit jour, Marie a de plus en plus de mal à respirer. A huit heures du matin la petite Marie Lasmier à cessé de vivre.
L’année suivante à quelques jours près de l’anniversaire du décès de sa fille Marie, le vieux Jacques marche sur le chemin du Magnaud. Passé le village de Charlanges, il descend sur Châtelux Malvaleix puis se dirige tout droit vers le relai de poste. Là, il y retrouve sa belle-sœur Marie Guillion ainsi que sa belle-fille Gilberte qui tient sur ses genoux son petit François.
- On dit à Lacoux que le diable est au Magnaud et que le malheur est sur les Guillion qui en seraient possédé ? interroge Lasmier.
- On ne sait pas, mais nous, nous sommes venus ici avec le petit François pour ne pas nous faire prendre par le diable. Il y a que le vieux père Nigron qui y va. Nous ne retournerons plus jamais au Magnaud Satan s’y est installé.
Jacques Lasmier se dirige vers le village de La Borde avec l’espoir d’y rencontrer son ancien camarade Pierre Guillion. Il le trouve assis sur un banc de Pierre. L’homme maintenant est devenu un vieillard de quatre vingt un ans. Jacques étreint son vieux compagnon.
- Tu viens pour mon pauvre frère Jean qui, dit-on, est possédé du diable avec sa chère Marie. Ta belle mère est morte hier. Je n’ai pas pu y monter, mon frère Etienne non plus. Nous sommes tous les deux trop vieux et le Magnaux est bien trop haut pour nous. C’est le père Nigron qui est venu me prévenir. La Marie Beauvais est morte affreusement. Elle est toujours là-haut car mon frère Jean a la même maladie . Il commence à baver abondamment et ne veut surtout pas voir un seau d’eau et ne veut plus ouvrir la porte. Il parait qu’il saute sur sa paillasse en hurlant comme un chien. Demain il ne sera sûrement plus là. Même leur chien, après s’être mesuré à un renard est mort fou. Lui qui était si doux avant de crever est allez mordre la Marie et le Jean. C’est bien le diable qui veut ça. Occupes-toi de ton beau-père et ta belle-mère. Ils ont été bons pour toi. La Marie et la Gilberte ont peur maintenant du Magnaud c’est bien normal.
Le vieux Jacques prend congé de son oncle par alliance et s’engage sur le chemin du Magnaud.
Arrivé en vue de l’huilerie des Nigron, le brave homme ancien habitant des lieux, arrive également en se dirigeant à sa rencontre.
- Je suis bien aise de te voir le Jacques. Ce qui vient d’arriver ne peut-être que l’œuvre de Satan. La Marie Beauvais est morte depuis cinq jours. Trois jours après son chien. J’ai pu venir la voir. Le Jean m’a laissé entrer. La Marie bavait en hurlant dès que la porte s’ouvrait et se mettait à rendre toutes ses entrailles. Ton beau père se tenait assis à côté de la paillasse de sa femme. J’ai voulu lui amener de l’eau pour laver la Marie. Il s’est mis à crier et m’a jeté dehors. Lui qui était si bon. Puis je n’ai plus entendu la Marie hurler. Je me suis approché de la lucarne qui donne chez eux et j’ai aperçu le Jean allongé par terre. iI s’est mis à crier comme la Marie. Il avait barricadé la porte. Depuis ce matin je n’entends plus rien.
- Il faut forcer la porte. La lucarne n’est pas assez large pour y passer, répond Lasmier.
Une fois pénétrés dans la pièce, un spectacle de désolation apparaît aux deux hommes. Sur sa paillasse Marie Beauvais commence à se décomposer, ainsi que son chien qui gît à ses pieds. Jean est allongé à terre devant la paillasse dans une marre d’immondices. L’odeur est insoutenable.
Nigron et Lasmier se précipitent à l’extérieur. Après avoir avalé plusieurs verres de « gniole » qui traînait encore dans l’ancienne huilerie du père Nigron, puis prennent le chemin de Châtelux Malvaleix déclarer les deux décès. Nous sommes le 23 mars 1863. Depuis, le Magnaud est abandonné même le vieux Nigron dont seule la demeure subsiste à ce jour a quitté les lieux maudits. Si tous avaient su que vingt deux ans plus tard un certain Louis Pasteur allait trouver un vaccin contre la rage, le diable n’aurait pas possédé ces lieux.
Aujourd’hui près des bâtiments du vieux Nigron ont peut voir des restes de murs. Est-ce ceux ou le drame a eu lieu ? La maison des Guillion a-t-elle été abattue ou brûlée pour chasser le diable ? En face l’entrée du chemin qui descend au Magnaud à l’endroit des quatre chemins qui vont à Châtelux Malvaleix, au Jaumareix et la Seiglerie se trouve un calvaire sur lequel, un tailleur de pierre a gravé un Christ en croix. Ce dernier a-t-il été taillé là pour exorciser les lieux ? Le tailleur de pierre ne serait-il pas le vieux Jacques Lasmier ?
(à suivre)