« Place des fêtes » est une station de métro qui précède celle de la « porte des Lilas ».
Avec mes parents, nous habitions dans le onzième arrondissement de Paris, boulevard Voltaire, face à la Mairie.
J'ai glorieusement réussi mon concours d'entrée à la chambre de commerce de Paris dans la section des Arts graphiques en classe de typographie. Sur cinq cents candidats, les quatorze premiers peuvent accéder à cette classe. Je suis le quatorzième. Faut dire que mon oncle, imprimeur, était administrateur dans cette Chambre de Commerce, ce qui peut expliquer cette énorme performance. Cette école était située à la porte des Lilas avenue Gambetta dans le vingtième arrondissement parisien.
Tous les matins, je "prends" le métro de la place Voltaire (plus tard Léon Blum) jusqu'à la République où je change de ligne pour celle de la porte des Lilas équipée du fameux métro à pneus.
Nous nous retrouvons, les quatorze apprentis typos, dans le hall de la station de métro « porte des lilas » en haut de l'escalier mécanique. Quatorze apprentis typos, quatorze apprentis anars « l'âge de raison » de Jean Paul Sarthe sous le bras, comme avant-propos d'un futur mai 68.
Nous passons la piscine des Tourelles avant de pénétrer dans notre sinistre école à allure de prison. Elle sera transférée beaucoup plus tard avenue des Gobelin dont elle porte, aujourd-hui, le nom. Elle deviendra l'égale de la célèbre école d'Arts Graphiques "d'Estienne".
Le soir, après les cours nous nous précipitons dans la première rame de métro à notre portée, sans avoir auparavant, bien sur, avoir fredonné au poinçonneur l'éternel "Poinçonneur des Lilas" de Gainsbourg. Nous nous agglutinons dans le dernier wagon de la rame où tous ensembles nous nous mettons à sauter en cadence, ce qui provoque sous l'effet des pneus, un inquiétant tanguage du wagon. Nous accentuons notre « danse », jusqu'à ce que la colère des voyageurs tourne à la panique.
Arrivés à la station Place ses fêtes, mon camarade "Riquet" et moi sautons du wagon et allons nous asseoir sur le banc du quai de la station. C'est l'heure où les filles d'une école d'électricité de la place des fêtes descendent à leur tour "prendre" le métro. Mon camarade et moi , allons nous séparer car chacun de nous prendra la direction de la belle que nous aurons, l'un et l'autre, choisie.
C'est ainsi, qu'un soir j'aborde une grande brune aux cheveux courts et noirs avec une silhouette de rêve, des yeux qu'un chanteur, plus tard, « taxera » de révolvers de façon qu'un garçon normalement constitué ne puisse pas y rester indifférent. Elle se prénomme Suzanne. Après quelques « voyages de reconnaissance », un soir, nous restons seuls assis dans la station, laissant partir copains et copines. Je ne sais pas combien de rames de métro sont passées devant nous. Je n'ai pu les compter, Suzanne non plus. Sans rien préméditer, comme ça, naturellement, nos lèvres se sont rapprochées pour finir en un baiser dont je perçois encore aujourd'hui la chaleur. Je crois que ce fût mon premier baiser.
Durant environ six mois nous vivrons un bonheur tout simple fait uniquement de chaleureux baisers.
Suzanne habitait le Perreux près de Nogent sur Marne. Elle prenait le bus au château de Vincennes. Je l'accompagnais chaque soirs. Nous longions l'orée du bois de Vincennes jusqu'à la station de bus des "minimes" (cette stations de bus est dans mes créations numériques).
Un soir, pourtant, sans un mot sans raisons nous nous quitterons là, pour toujours, tout simplement, comme le moment de notre premier baiser.