Le chemin des morts 31 La Marie du Jacques
Après le décès des vieux Guillion, Marie avec sa fille, sa nièce Gilberte et son fils François sont hébergés, sur leur lieu de travail au relais de la diligence de Chatelux. Avec le progrès, les lignes de chemin de fer prolifèrent dans le département. Le temps des diligences avec leurs relais est compté. En 1864, Gilberte décide de partir pour le Berry où elle sera femme de chambre dans un château de la région. Elle ne peut emmener son fils dans ses bagages. Elle le confie à sa tante Marie Guillion. François Guillon qui a trois ans ne reverra jamais plus sa maman. Personne en Creuse ne reverra la jolie Gilberte Guillon.
On parle de plus en plus de la fermeture du relais. Marie Guillion n’entrevoit qu’une solution. Elle est de moitié avec sa sœur Marguerite sur l’héritage de ses parents. Elle ira à Lacoux décider sa sœur de vendre la propriété du Magnaud et lui réclamer ses parts sur la maison que son père avait achetée à Lacoux pour loger sa sœur Marguerite et son beau-frère Jacques Lasmier. Plus question pour elle de retourner vivre au Magnaud.
Un beau matin d’été Marguerite Guillon voit descendre du Couderc en se dirigeant vers la chènevière, sa sœur Marie avec deux enfants à ses côtés. Une fillette de cinq ans et un garçonnet de trois ans.
- Qu’est-ce qui t’amène ici ma sœur avec ces deux loupiots.
- Je viens pour habiter ici avec ma petite et le petit de ta fille.
- De quel droit, lance la mégère.
- Du droit qui est le mien. Les vieux sont morts et j’ai des droits. Nous vendons le Magnaud. Ici, tu nous loges, ou nous vendons aussi la « maisou » de Lacoux pour que j’en touche ma part.
Marguerite suffoque de colère. Vendre le Magnaud cela peut que l’arranger, mais que sa sœur avec les deux gamins viennent s’installer ici ce n’est pas possible. La cohabitation dans un grenier avec cette jolie belle sœur de trente six ans avec son vieux Jacques toujours aussi « vert » risque de lui ranimer les moments de doutes qui subsistent toujours sur la paternité de son petit-fils. De plus le petit fils du Jacques, le jeune François Naturel, est revenu de Paris vivre auprès de son grand-père.
- Demain, reprend Marie, nous irons à Jouillat chez le notaire tous les trois avec ton Jacques pour écrire nos accords. J’abandonnerai mes droits sur ce qui concerne les biens de Lacoux à ton profit et à celui de ton mari. En échange, vous me devrez avec ma fille la nourriture et le logis jusqu’à la fin de mes jours. En cas d’incompatibilité d’humeur, je partirais, mais vous me serrez redevable d’une rente toute ma vie restante.
Marguerite est vaincue. Elle n’a plus qu’à se soumettre aux volontés de sa sœur.
C’est ainsi que François Guillon fait son retour sur son lieu de naissance. Ce n’est pas un très bel enfant. Il est buègue comme Lasmier. Les mauvaises langues disent qu’il ressemble beaucoup au vieux Jacques. Ce qui met Marguerite en rage. Il n’est pas également d’un caractère docile. Arrivé à l’âge de cinq ans, il est la cible des moqueries de ses petits amis de son âge ; Berthe Glomot, François Gerby, Antoinette Michaud, Antoine Guillemet, Jeanne Guinjard, le surnomment selon les dire de leurs parents ; le Lasmier, le Parrain ou même le petit Marquis. Il devient aigri et hargneux même avec sa famille. La Marguerite joue souvent du bâton sur lui, faut dire que c’est une de ses occupations préférées envers tout le monde. Seul le vieux Jacques reste passif aux « chétivetés » du garnement. Il le prend même en affection..
C’est dans ce contexte que dans la maison Guillon-Lasmier va se dérouler un nouvel évènement qui va finir de faire « marcher les mauvaises langues du village » ; Marie Guillon tombe enceinte. De qui ? Une fois de plus le vieux Jacques est montré du doigt. Marie ne dément pas les ragots, ce qui fini d’attiser le malaise qui s’est maintenant installé dans la maison. Lasmier lui ne bronche pas.
Le 15 mars 1866 à deux heures de l’après midi, Marie aidée de sa sœur accouche d’un petit Jean. Comme pour Gilberte Guillon, personne n’a voulu se charger de la déclaration de naissance du bébé de Marie. Par contre quatre jours plus tard le 19 mars, François Noël Vernet et Sylvain Lajoie, qui demeurent à Lacoux, sont allés déclarer la naissance de la fille des Lamoureux les voisins des Lasmier-Guillon. Il a fallu attendre sept jours à Marie Guillon pour récupérer de son accouchement et de pouvoir descendre à la Mairie de Jouillat déclarer, elle-même, son petit Jean. Il est une heure de l’après midi lorsque le Maire arrive enfin à trouver deux témoins : Jean Guinjard et Antoine Gerby de Lacoux. Le 29 mars le petit Jean présente les mêmes symptômes que le petit Jacques le fils mort de défunte Anne Lasmier. Le lendemain à 7 heures du matin le fils de Marie décède dans les mêmes souffrances que celles du petit-fils du vieux Jacques. Jean Michaud et François Brunaud acceptent d’aller déclarer le décès.
La naissance et le décès du fils de Marie Guillon à fini de brouiller les deux sœurs. Marie fait jouer la clause « d’incompatibilité d’humeur ». Elle verse une pension pour la garde de sa fille Gilberte aux Lasmier et par domestique chez les Belugeon dans le bas du village.
Au début de l’été 1868, Marguerite Guillon vient d’avoir 54 ans. Elle qui d’ordinaire bénéficie d’une santé de fer, se sent lasse ce début de mois de Juin. Les mauvaises langues vont bon train depuis la naissance du défunt fils « naturel » de Marie que l’on surnomme maintenant « la Marie du Jacques ». Dans le village Marguerite n’a pas su se faire adopter. Les Guillon sont restés des transplantés que l’on tient à distance excepté chez les Boyer et les Guinjard. Bref Marguerite rentre petit à petit dans ce que l’on nomme aujourd’hui ; en dépression. On sait de nos jours que cet état ouvre la porte à des pathologies extrêmement graves telles que cancers, maladies cardios vasculaires etc. Chez les Guillion, les attaques cardiaques sont courantes. Sont grand-père, l’Antoine en est mort ainsi que son oncle de Beybe, l’Etienne, qui un matin de novembre de l’année passée s’est effondré subitement sur le chemin de La Borde. Durant un mois Marguerite traîne sa mélancolie sans savoir qu’elle allait l’emmener à la mort. Le 27 juillet, au pré du moulin, vers les quatre heures de l’après midi elle garde ses chèvres accompagnée de son petit-fils François. Le garçonnet joue avec l’eau du ruisseau qui coule à deux pas où sa grand-mère s’est installée sur son « chérier ». Étonné que celle-ci ne braille pas de le voir patauger dans l’eau et la boue, il se retourne vers son aïeule qui se tient toujours assise sans broncher. Surpris François s’approche. La Marguerite est blanche comme un linge, comme une statut les yeux grands ouverts. L’enfant prend peur et court vers le lavoir ou sa grande tante Marie Guillon lave les draps des Belugeon.
- La vieille bouge plus ! La vieille bouge plus ! Crie-t-il tout essoufflé.
Marie se précipite auprès de sa sœur. Pousse à l’épaule le corps qui se renverse sur le côté ; inerte.
La Marguerite Guillon est morte. Dans la brouette avec laquelle elle a descendu le linge Marie remonte le corps de sa sœur comme un paquet de linge sale. Elle passe par le chemin des « aires lafond » tandis que le petit François Guillon coupe par le chemin qui arrive devant chez les Germain et les Tingault en sautant et chantant ;
- La Marguerite est morte ! La Marguerite est morte !
Après avoir été transportée dans une brouette. Que Antoine Gerby et Jean Guinjard soient allés déclarer le décès à la Mairie. Le corps de la première Guillon ayant habité le village de Lacoux est transbahuté dans un cercueil que transporte le tombereau de Jean Guinjard sur le chemin des morts. Le cortège funèbre est peu nombreux : Les Bichon, les Gerby, et les Guinjard, les seuls qui entretenaient une légère amitié pour la défunte. Le vieux Pierre Guillion, son oncle, malgré son âge est venu de La Borde et bien entendu le vieux Jacques accompagné de la sœur de la décédée qui désormais restera dorénavant pour tout le monde « la Marie do Jacques ».
L’année suivante, 1869 le 27 janvier à deux heures du matin, Les Lamoureux, voisins mitoyens du vieux Jacques, perdent leur petite fille Marie âgée de trois ans. Ce sont Pierre Guillemet et Martin Belugeon qui se chargent de la déclaration du décès de l’enfant.
Un an plus tard presque jour pour jour, le 7 février 1870 à 6 heures du soir, Marie Lamoureux mettra au monde une nouvelle petite Marie.
(à suivre)